Un projet interordres pour découvrir les sciences autrement

Mathieu Riopel et Caroline Paquet, Cégep Garneau  

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Introduction

Soutenir l’intérêt des jeunes pour les sciences et les technologies et encourager la persévérance dans ces domaines nécessitent l’action d’intervenantes et d’intervenants de l’ensemble du milieu éducatif québécois. Pour y arriver, chaque niveau d’enseignement fait face à des défis particuliers. Au primaire et au secondaire, on reconnait toute l’importance de contribuer à l’éveil et au maintien de l’intérêt pour ces domaines (Potvin et Hasni, 2014). Au collégial, où environ le tiers des étudiantes et des étudiants qui s’inscrivent en Sciences de la nature n’obtiennent pas un diplôme dans ce programme (Service régional d’admission du Montréal métropolitain [SRAM], 2020), la motivation et la persévérance constituent des enjeux déterminants. Pour relever ces défis multiples et complexes, il y aurait avantage à mettre en commun les efforts des différents ordres d’enseignement en développant des initiatives qui misent sur la collaboration et sur l’échange entre les actrices et les acteurs de ces milieux. Le but de cet article est de mettre en lumière un projet de cette nature, conçu par le Centre de démonstration en sciences physiques (CDSP) du Cégep Garneau, un organisme voué à l’éducation scientifique. Cette initiative permet la rencontre d’étudiantes et d’étudiants du cégep avec des élèves du primaire et du secondaire dans le cadre d’ateliers scientifiques qui exploitent l’approche pédagogique du tinkering[i] où l’accent est mis sur l’innovation et la créativité pour aborder les sciences. Au terme de près de quatre années d’existence, nous dressons ici un bilan de ce projet réunissant des personnes de différents niveaux d’enseignement ainsi que du milieu non formel de l’éducation scientifique.

 

Mise en contexte

Le projet des Ambassadeurs scientifiques est né d’un désir d’intégrer davantage les étudiantes et les étudiants du Cégep Garneau aux activités du CDSP. Depuis sa création en 1998, le Centre travaille au développement de l’intérêt des jeunes pour les sciences et les technologies. Des étudiantes et des étudiants se sont joints ponctuellement à son équipe pour contribuer à diverses activités de médiation scientifique. Avec le projet des Ambassadeurs scientifiques, l’idée était de créer une structure qui permettrait à plus d’étudiantes et d’étudiants de contribuer à cette mission. Également, nous souhaitions mettre sur pied une activité parascolaire en sciences pour offrir à la population étudiante un projet motivant et stimulant.

En s’inspirant d’autres initiatives interordres, dont celles du regroupement acceSciences[ii], le projet des Ambassadeurs scientifiques a démarré à l’automne 2017. Essentiellement, il permet à des étudiantes et des étudiants d’animer des activités scientifiques dans des classes du primaire et du secondaire de la région de Québec. Leur implication est bénévole. Quelques formations leur sont d’abord offertes sur la médiation scientifique, l’animation en contexte de classe, l’approche pédagogique du tinkering et les différentes thématiques des ateliers scientifiques. Par la suite, des équipes de deux bénévoles, accompagnées par une personne-ressource du Cégep, sont désignées pour l’animation des activités auprès de groupes scolaires et se rendent dans les écoles avec tout le matériel nécessaire (figure 1). Les différentes activités proposées, nommées Les ateliers inventifs, s’inspirent toutes de l’approche pédagogique du tinkering et sont créées par l’équipe du CDSP. Durant ces ateliers, les élèves ont environ une heure pour apporter une solution créative à un défi scientifique qui leur est lancé. Le tableau 1 réunit quelques statistiques sur la participation des jeunes au projet au fil des ans.

 

Composer avec la réalité des cégépiennes et des cégépiens

L’horaire d’une cégépienne ou d’un cégépien en Sciences de la nature compte en moyenne 26 heures de cours par semaine, auxquelles s’ajoutent plusieurs heures d’étude et de travaux, sans oublier que la majorité occupe aussi un emploi à temps partiel. On pourrait facilement croire qu’il est irréaliste de persuader ces jeunes de s’engager dans une activité bénévole et non créditée. Pourtant, plusieurs décident de s’impliquer dans le projet chaque année. Pour obtenir un tel engagement, l’une des conditions à mettre en place est d’offrir une grande flexibilité dans l’implication demandée. Une façon d’y arriver est de laisser les ambassadrices et les ambassadeurs scientifiques libres de se porter volontaires ou non pour l’animation d’un atelier. Ainsi, alors que certains prennent plaisir à visiter plus d’une dizaine de classes durant l’année scolaire, d’autres n’en visitent qu’une ou deux en vivant pleinement l’expérience unique que procure le contact avec les élèves. Les seules activités obligatoires sont les formations offertes en début d’année. Cette flexibilité est essentielle afin que le projet soit accessible au plus grand nombre. Selon les commentaires que nous recevons chaque année, c’est pour vivre une expérience nouvelle qui les sort de leur zone de confort et pour s’impliquer dans leur communauté que les étudiantes et les étudiants décident de participer à ce projet. Il nous semble donc important de leur en faciliter l’accès le plus possible, peu importe leur facilité à l’école ou leur disponibilité.

La forme particulière du projet, qui repose sur l’implication de jeunes du collégial, nous impose également un certain nombre de contraintes quant au format des activités scientifiques créées. Par exemple, la durée des ateliers ne doit pas trop excéder une heure. Il serait difficile pour nos étudiantes et nos étudiants de se déplacer à l’extérieur du Cégep pour une plus longue période durant leurs pauses de cours. Aussi, les formations qui leur sont offertes ne doivent pas leur demander trop de temps, mais doivent tout de même permettre le développement de leur confiance et de leurs compétences à un niveau suffisant pour faire une animation de qualité.

 

Concevoir des activités bien adaptées pour tous

Lors de la conception des Ateliers inventifs, nous souhaitions que ces activités soient en mesure de combler des besoins réels du personnel enseignant. Afin de soutenir son travail par une offre qui bonifie ce qui se fait généralement en classe, il nous a semblé qu’une approche pratique axée sur l’innovation était à prioriser. Cela a donc guidé notre processus de création. Aussi, pour qu’un maximum de groupes scolaires puisse profiter des activités des Ambassadeurs scientifiques, nous voulions que chacun de nos ateliers puisse s’adapter à n’importe quel niveau scolaire, du troisième cycle du primaire à la fin du secondaire.

Ayant en tête ces éléments et les contraintes particulières, l’approche pédagogique du tinkering nous a semblé particulièrement porteuse. Il s’agit d’une approche qui gagne en popularité depuis quelques années et qui permet d’explorer davantage les aspects créatifs des sciences. Une description plus complète des fondements pédagogiques et de la mise en œuvre de cette approche se trouve dans les lectures suggérées à la fin de l’article. En quelques mots, mentionnons que le tinkering consiste à placer l’élève dans une situation où sa tâche sera de bricoler et d’assembler des matériaux et des objets pour tester différentes solutions à un problème. Ainsi, dans nos Ateliers inventifs, les élèves élaborent une solution novatrice à un défi scientifique en utilisant des outils simples et du matériel varié. L’objectif est que les élèves soient constamment dans l’action, en manipulant du matériel et en testant fréquemment leurs idées, pour stimuler leur réflexion et leur créativité. Ce genre d’activité fait place à l’erreur et la valorise. C’est particulièrement lors des essais infructueux que les élèves confrontent leurs idées, raffinent leurs solutions et s’impliquent dans la démarche d’investigation et de conception.

Les défis proposés dans nos différents ateliers de tinkering sont particulièrement ouverts et peuvent à priori s’avérer déroutants. L’approche utilisée est pourtant un moyen efficace pour favoriser l’intégration et la rétention de concepts scientifiques et pour vivre une démarche d’investigation. Les élèves se souviendront longtemps de leurs réalisations, de leurs essais ratés et de leurs réussites. Elles et ils seront éventuellement en mesure de faire des liens entre l’activité vécue et certains apprentissages plus structurés présentés en classe, même si durant l’atelier les concepts scientifiques ne sont généralement pas expliqués ou nommés. L’approche du tinkering peut facilement être utilisée pour aborder différents sujets scientifiques. C’est ainsi que nous avons pu développer cinq ateliers différents sur des thèmes diversifiés que l’on retrouve dans le Programme de formation de l’école québécoise : le magnétisme et le roulement (Les bolides magnétiques) (figure 2), l’énergie (Fais du vent! [les éoliennes]) (figure 3), l’optique (Des idées lumineuses!) (figure 4), les ondes sonores (Cordes sensibles) (figure 5), les machines simples et les circuits électriques (Réactions en chaîne) (figure 6).

Le rôle des Ambassadeurs scientifiques, lors d’un Atelier inventif, est de guider les élèves vers une expérience de réussite. Ce rôle est particulièrement bien adapté pour des cégépiennes et des cégépiens qui ont parfois de la difficulté à s’adresser à un grand groupe, mais qui sont à l’aise pour soutenir des équipes d’élèves. L’expérience vécue nous indique que l’approche du tinkering possède aussi l’avantage d’être appréciée par les élèves, peu importe leur niveau scolaire. Tous les élèves passent un bon moment à faire des sciences, et le plus difficile est souvent de freiner l’élan des élèves qui ne veulent plus s’arrêter à la fin de la période!

Un projet interordres qui profite à tout le monde

Malgré quelques rares initiatives, les différents ordres d’enseignement au Québec travaillent généralement en vase clos. La collaboration interordres contribue pourtant à l’enrichissement de nos pratiques. L’objectif d’un projet comme celui des Ambassadeurs scientifiques n’est pas de remplacer le travail d’enseignantes et d’enseignants des niveaux primaire et secondaire par celui de jeunes du cégep, mais plutôt de miser sur cette rencontre pour que tous et toutes en profitent.

Les élèves

Le but de nos Ateliers inventifs est de faire vivre une expérience où la créativité et l’innovation en science et technologie sont à l’avant-plan. Nous constatons fréquemment que ce genre d’activité plait à la grande majorité des élèves. Nous observons également que l’approche du tinkering est particulièrement bien adaptée à celles et ceux qui éprouvent plus de difficultés dans des formules pédagogiques plus structurées. Bien qu’il soit exagéré de prétendre qu’une activité d’une heure a un impact profond sur les élèves, il s’agit tout de même d’un moyen d’encourager la motivation et de stimuler l’intérêt pour les sciences (Desbiens, Larose et Richard, 2018) ainsi que le désir de fabriquer et d’expérimenter avec les objets du quotidien.

De plus, le fait que des étudiantes et des étudiants de cégep soient responsables de l’animation des Ateliers inventifs constitue certainement une valeur ajoutée à ces activités. Bien que ces jeunes manquent parfois d’expérience et que certaines maladresses soient présentes, leur contact avec les élèves est inspirant et bénéfique. Pour plusieurs élèves, cette rencontre permet un premier contact avec le collégial. Les élèves questionnent fréquemment les ambassadrices et les ambassadeurs à propos de leur cheminement scolaire ou de leur quotidien. Pour les élèves du secondaire, avec qui la différence d’âge est parfois mince, la rencontre avec des étudiantes et des étudiants en Sciences de la nature peut devenir l’occasion de démystifier les études dans ce programme et d’envisager de s’y inscrire. Les ambassadrices et les ambassadeurs deviennent ainsi des modèles pour guider les élèves vers la transition secondaire-collégial.

Les cégépiennes et les cégépiens

Pour beaucoup d’étudiantes et d’étudiants, le choix de carrière se cristallise durant leur parcours au collégial. Cette décision joue un rôle important dans leur motivation et leur réussite. Or, l’implication dans une activité parascolaire peut avoir un impact marquant à ce chapitre, particulièrement lorsque cette activité est liée à leurs trajectoires personnelle et scolaire (Roy, 2011). Pour les jeunes qui y participent, le projet des Ambassadeurs scientifiques vient donner un sens à leur passage au collégial, augmente leur sentiment d’appartenance à un groupe et permet de développer de nouvelles compétences. À cela, ajoutons que le projet peut contribuer non seulement à créer une relève en sciences, mais aussi en enseignement et en médiation scientifique.

Aussi, pour le Cégep Garneau, un tel projet constitue un moyen d’enrichir la formation des étudiantes et des étudiants et de favoriser leur réussite, tout en contribuant au rayonnement de l’établissement. Pour ces raisons, le Cégep a soutenu le projet depuis le début, ce qui nous a permis de profiter de ressources indispensables à la mise en œuvre et à la pérennité du projet.

Les enseignantes et les enseignants

Pour les enseignantes et les enseignants qui reçoivent les Ambassadeurs scientifiques, en plus d’obtenir une activité clé en main qui bonifie ce qui se fait déjà en classe, il s’agit d’une occasion d’explorer une nouvelle approche pédagogique. Un guide rédigé à leur intention porte, entre autres, sur les aspects importants du tinkering, et une formation est offerte à celles et ceux qui le désirent. À la suite d’un Atelier inventif, plusieurs souhaitent intégrer davantage cette façon de faire apprendre les sciences. Lorsque nous accompagnons des ambassadrices et des ambassadeurs scientifiques dans les écoles, il arrive fréquemment que des enseignantes et des enseignants dont la curiosité a été piquée s’informent auprès de nous à propos de cette approche, et un accompagnement personnalisé peut leur être offert.

 

Conclusion

En tant qu’enseignante ou enseignant au niveau collégial, prendre part à l’élaboration d’un projet comme celui des Ambassadeurs scientifiques constitue une expérience unique qui nous amène à créer des liens particuliers avec nos étudiantes et nos étudiants, à partager notre savoir-faire comme pédagogues et à offrir un contact plaisant avec la science qui stimule l’intérêt des élèves. Voir une étudiante ou un étudiant vaincre sa timidité pour partager sa passion des sciences à un groupe d’élèves est particulièrement inspirant et motivant. Pour le CDSP qui est à l’origine du projet, il s’agit d’une occasion de réaliser la mission que l’organisme s’est donnée, c’est-à-dire d’être un lieu de rencontre et de partage d’expertises pour le milieu de l’éducation en science et technologie. À notre avis, la réussite de ce projet est une démonstration éloquente de la façon dont le réseau collégial peut s’allier avec d’autres ordres d’enseignement pour créer des initiatives qui le transcendent.

 

Références

Desbiens, V., Larose, S. et Richard, V. (2018). L’effet d’activités scientifiques de milieux non formels et le capital scientifique de l’enfant. Spectre, 47(3), 34-35.

Potvin, P. et Hasni, A. (2014). Interest, motivation and attitude towards science and technology at K-12 levels: A systematic review of 12 years of educational research. Studies in Science Education, 50(1), 85-129.

Roy, J. (2011). Quête identitaire et réussite scolaire. Une étude de cas – la pratique d’activités parascolaires dans le réseau collégial. Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.

Service régional d’admission du Montréal métropolitain (SRAM). (2020). Profil scolaire des étudiants par programme – Sciences de la nature. Montréal : SRAM.

 

Suggestions de lecture

Grant, O. (2015). Chronique : Le cahier de laboratoire. Spectre, 46(2), 30-31.

Meunier, A., Belleville, B. et Grant, O. (2018). Penser avec ses mains ou la philosophie du tinkering. La Lettre de l’OCIM, 177, mai-juin. Repéré à http://journals.openedition.org/ocim/2557

Tessier, C., Poliquin, G., Langlois, S. et St-Hilaire, A. (2020). Quand les collégiens contribuent à éveiller l’intérêt des jeunes pour les sciences. Une collaboration interordre primaire-collégial fructueuse. Pédagogie collégiale, 33(2), 30-35.

Wilkinson, K. et Petrich, M. (2019). The art of Tinkering. San Francisco, CA : Weldon Owen

Libow Martinez S. et Stager, G. (2019) Invent to learn – Making, Tinkering, and Engineering in the classroom. Torrance, CA : Constructing Modern Knowledge Press

 

[i] On pourrait traduire tinkering par « bidouillage ». Par contre, il n’existe pas de traduction officielle au sens pédagogique; nous utiliserons le terme anglophone pour le reste de l’article.

[ii] « acceSciences vise le développement d’une concertation et d’une collaboration entre des établissements d’enseignement de différents ordres et des organismes intervenants en promotion de la science et de la technologie à la grandeur de l’île de Montréal. » (http://www.accesciences.ca/qui-sommes-nous)