La dissection mécanique, à la fois démarche d'analyse technologique et d'observation

Partie 2 : L'observation

Jolyane Damphousse, Audrey Groleau et Ghislain Samson, Université du Québec à Trois-Rivières  

Sur le même sujet

Passion, dévouement et innovation dans l'enseignement des sciences
Portrait de Sonia Bonin, lauréate du prix Gaston-St-Jacques 2023

Elisabeth Guérard, AESTQ

 

Lire la suite
Art, culture et pêche à la mouche

Kassandra L’Heureux, étudiante au doctorat, Université de Sherbrooke et Valérie Vinuesa, professionnelle de recherche Chaire de recherche pour l’éducation en plein air, Université de Sherbrooke

Lire la suite
Mon Saint-Laurent vu du rivage : s'approprier notre fleuve Saint-Laurent en contexte de classe

Catherine Simard, professeure en didactique des sciences et technologies, Université du Québec à Rimouski, Lucia Savard, enseignante du primaire et professionnelle de recherche, Université du Québec à Rimouski, Mélanie Cantin, coordonnatrice des communications, Technoscience Est-du-Québec et Dominique Savard, directrice générale, Technoscience Est-du-Québec

Lire la suite
La notion de risque

Audrey Groleau, professeure de didactique des sciences et de la technologie, Université du Québec à Trois-Rivières, Irvings Julien, stagiaire postdoctoral, Université du Québec à Trois-Rivières et Marco Barroca-Paccard, professeur de didactique des sciences de la nature, de la biologie et de la durabilité, Haute école pédagogique de Vaud (Suisse)

Lire la suite
Intégrer les systèmes d’information géographique (SIG) dans son enseignement : suggestions pour l’enseignement primaire et secondaire

Camille Binggeli, Université du Québec à Trois-Rivières

Lire la suite

Introduction

Le Programme de formation de l’école québécoise (PFEQ) aborde plusieurs démarches, certaines qu’il présente comme propres à la science, d’autres comme spécifiques de la technologie (ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport [MELS], 2006, 2007a, 2007b). Dans cette deuxième partie, nous détaillons la double idée selon laquelle une même activité peut être associée à deux démarches différentes. Certaines démarches proposées dans le PFEQ peuvent être considérées comme étant à teneur scientifique alors que d’autres sont plutôt de nature technologique. Pour ce faire, nous employons l’exemple de la dissection mécanique, qui peut être envisagée comme une démarche d’analyse technologique ou comme une démarche d’observation technologique (alors que la démarche d’observation est habituellement retenue comme une démarche scientifique). Dans la première partie de cet article, nous avons présenté des éléments de la recherche de maitrise de Damphousse (2017), dans laquelle des élèves de quatrième secondaire ont été amenés à réaliser une dissection mécanique, c’est-à-dire à « démonter un produit afin de voir comment il fonctionne et à quoi sert chacune des composantes » (Doucet, Langelier et Samson, 2007, p. 32). Nous nous sommes penchés sur les manières dont les élèves procédaient pour réaliser cette dissection, ici vue comme une démarche d’analyse technologique. Dans cette deuxième partie, nous montrons, toujours en prenant appui sur la recherche de maitrise de Damphousse (2017), que la même dissection mécanique peut être considérée comme une démarche d’observation technologique. Alors que le PFEQ aborde la démarche d’observation comme une ressource pour comprendre les principes scientifiques (MELS, 2007a), cette recherche illustre que cette démarche peut aussi être utile pour comprendre des principes technologiques. Plus particulièrement, nous nous intéressons ici aux sens que les élèves emploient lorsqu’ils effectuent une dissection mécanique, conçue comme un cas particulier de la démarche d’observation, ce qui nous permet d’avancer que contrairement à la démarche d’observation scientifique, qui s’appuie principalement sur le sens de la vue (Fourez, 1988), la démarche d’observation technologique fait aussi abondamment appel au sens du toucher, qui s’ajoute à celui de la vue.

 

La démarche d’observation

L’observation figure autant dans la compétence 1 que dans la compétence 2 du PFEQ. Du côté de la compétence 1, l’observation permet de « chercher des réponses ou des solutions à des problèmes d’ordre scientifique ou technologique » (MELS, 2007a, p. 15), notamment lors de l’étape de la concrétisation du plan d’action. L’observation est alors employée pour recueillir des données. Du côté de la compétence 2, l’observation amène l’élève à « mettre à profit ses connaissances scientifiques et technologiques » (MELS, 2007a, p. 19). En effet, l’élève peut être en mesure de comprendre des principes scientifiques par l’entremise de l’observation. Cette dernière est alors vue comme une ressource que l’élève mobilise.

La démarche d’observation est mentionnée dans le PFEQ du premier cycle du secondaire, mais ce n’est que dans les documents du deuxième cycle que l’on obtient son explication détaillée :

 

La démarche d’observation est un processus actif qui permet d’interpréter des faits selon des critères déterminés par l’observateur ainsi que par ce qui fait consensus dans un cadre disciplinaire donné. À la lumière des informations recueillies, l’élève doit en arriver à une nouvelle compréhension des faits qui reste toutefois tributaire du contexte dans lequel s’effectue l’observation. Par sa manière d’interpréter et d’organiser les informations, l’observateur fait une relecture du monde physique en tenant compte de ses présupposés et des schémas conceptuels qui font partie intégrante de la grille qu’il applique aux faits observés. Ainsi, toute observation repose déjà sur l’établissement d’un modèle théorique provenant de celui qui observe. (MELS, 2007a, p. 29)

 

L’observation est donc un processus qui demande à l’élève d’être actif, de se construire une interprétation et d’organiser la description et l’explication de ce qu’il observe afin d’atteindre un certain degré de clarté et de cohérence (Ahtee, Juuti, Lavonen et al., 2011; Fourez, Englebert-Lecompte et Mathy, 1997). L’opérationnalisation de cette démarche demande à l’élève d’avoir recours à ses sens comme instruments de collecte de données (Haury, 2002; Hodson, 1996; Yurumezoglu, 2006). Bien que tous les sens (le gout, l’odorat, l’ouïe, le toucher, la vue) puissent être utilisés lors d’une observation (Eberbach et Crowley, 2009; Haury, 2002), c’est la vue qui est considérée comme le sens privilégié lors d’une observation à caractère scientifique (Fourez, 1988; Oguz-Unver et Yurumezoglu, 2009).

Dans la première partie de cet article, nous avons expliqué qu’il existe au moins trois façons dont les élèves de quatrième secondaire réalisent une dissection mécanique (dissection séquentielle, dissection par systèmes et dissection en spirale) (Damphousse, 2017). Un des éléments communs à ces trois cas de figure demeure l’observation. Peu importe la façon dont les élèves ont effectué la dissection mécanique, ils ont tous observé le diffuseur de fragrance automatique pour arriver à comprendre son fonctionnement. Notons que l’objet sélectionné pour la dissection mécanique, soit le diffuseur de fragrance automatique (Figure 1), a été choisi précisément parce qu’il avait le potentiel de stimuler quatre des cinq sens, soit l’odorat, l’ouïe, le toucher et la vue. Au cours de l’observation, des élèves ont en effet utilisé chacun de ces sens.

Lors de la collecte de données de la recherche, les participants et participantes ont été filmés alors qu’ils réalisaient une dissection mécanique en équipe de deux. Par cet enregistrement, nous avons relevé l’utilisation de certains sens. Par exemple, lorsqu’un participant ou une participante disait « regarde [telle partie du diffuseur] » en parlant à l’autre membre de son équipe, nous avons constaté l’utilisation de la vue. Nous leur avons ensuite demandé en entretien semi-dirigé individuel quels sont les sens sur lesquels ils se sont appuyés et lequel leur a été le plus utile dans la réalisation de la dissection mécanique. Les informations au regard des sens utilisés par les 12 élèves ayant participé à la recherche ont été consignées dans le tableau suivant. 

 

Dans ce tableau, les cases en vert font référence aux sens dont des indices d’utilisation ont pu être relevés dans l’enregistrement audiovidéo. Les crochets représentent tous les sens auxquels les participants et participantes ont mentionné avoir eu recours pendant l’entrevue semi-dirigée. Les astérisques renvoient au sens que les élèves ont déterminé comme celui ayant été le plus utile dans le contexte de la dissection mécanique.

Ainsi, nous avons constaté que tous les sens peuvent être utilisés dans l’activité proposée, sauf le gout (employé par accident dans un cas). Notons que l’activité, soit la dissection mécanique d’un diffuseur de fragrance automatique, ne se prêtait pas à l’utilisation du gout et que les consignes émises en laboratoire et en atelier comportent souvent un avertissement à ce sujet. Conséquemment, ce sens n’a pas été utilisé de façon volontaire par les élèves. Le tableau 1 nous permet également de constater que les deux sens qui ont été mis à contribution par tous les participants et participantes sont le toucher et la vue. De plus, ces deux sens sont ceux qui ont été déterminés (ex æquo) comme les plus utiles par les participants et participantes. Rappelons que les élèves ont réalisé l’activité en équipe de deux. Le participant 1 a fait la dissection mécanique avec le participant 2, le participant 3 avec le participant 4 et ainsi de suite. Nous constatons alors que dans chacune des équipes, le toucher a été le sens le plus utile pour l’un des membres alors que, pour l’autre, c’est la vue qui a été mentionnée. Cela concorde avec les rôles que les élèves ont informellement pris durant la dissection mécanique. En effet, l’élève qui manipulait davantage l’objet a mentionné le toucher, alors que celui ou celle qui se trouvait plus en retrait et qui observait son ou sa collègue a établi la vue comme étant le sens le plus utile. Nous constatons également que des élèves ont employé l’odorat lors de la diffusion du parfum et l’ouïe pour écouter les sons produits par le déplacement des roues dentées et par le bruit occasionné au moment de la diffusion du parfum.

Comme nous l’avons vu plus haut, plusieurs auteurs s’entendent sur le fait que l’observation peut être réalisée à l’aide des cinq sens (Eberbach et Crowley, 2009; Fourez, 1988; Haury, 2002; Hodson, 1996; Oguz-Unver et Yurumezoglu, 2009; Yurumezoglu, 2006) et que la vue est le sens le plus utilisé dans des situations d’observation à caractère scientifique (Fourez, 1988; Oguz-Unver et Yurumezoglu, 2009). Cette recherche détaille les sens utilisés par les élèves lors d’une dissection mécanique, c’est-à-dire au cours d’une activité à caractère technologique. Notre étude, mais aussi nos autres expériences de recherche et d’enseignement, nous porte à croire qu’au contraire des situations d’observation en sciences, les situations d’observation en technologie amènent les élèves à considérer le toucher comme un sens important pour réaliser l’observation.

Ainsi, nous recommandons aux enseignants et aux enseignantes de donner accès à des objets réels (par opposition à la dissection à l’aide d’images ou d’animations) en classe afin de favoriser l’utilisation des divers sens, et notamment du toucher, pendant la dissection mécanique. Par la présence d’un objet réel, les élèves seront en mesure d’utiliser leurs sens en complémentarité pour en comprendre le fonctionnement. Ils pourront alors reproduire eux-mêmes les mouvements de l’objet (p. ex. faire bouger ses roues dentées), observer celui-ci sous tous ses angles, mais aussi détecter des éléments que seule l’utilisation de certains sens permet. Par exemple, lors de la dissection mécanique du diffuseur de fragrance automatique, c’est par le toucher que les élèves ont constaté la présence de lubrifiant à l’intérieur de celui-ci. Une image ou une vidéo n’aurait pas permis de détecter cet élément. De plus, l’odorat ne peut pas non plus être sollicité par la vidéo, et certains objets, comme le diffuseur de fragrance automatique, laissent une place importante à ce sens. Dans ce cas-ci, la détection de l’odeur du parfum est une preuve du fonctionnement de l’objet. Lorsque les élèves devaient remonter le diffuseur pour comprendre son fonctionnement, c’est la production de l’odeur qui leur permettait de constater la réussite du réassemblage. La même recommandation, soit l’accès à l’objet réel, pourrait d’ailleurs être formulée pour l’examen ministériel en sciences et technologie. En effet, grâce à cela, les élèves pourraient faire appel à tous leurs sens pour obtenir une meilleure compréhension du fonctionnement de l’objet.

 

Conclusion

Réaliser la recherche présentée dans cet article en deux parties nous a menés à trois conclusions que nous considérons être d’intérêt pour les enseignants et enseignantes de sciences et technologie au secondaire ainsi que pour les chercheurs et chercheuses. La première est celle selon laquelle le fait d’envisager une même activité sous l’angle de deux démarches distinctes peut faire émerger des recommandations pour l’enseignement qui sont à la fois différentes et complémentaires. Dans le cas de la recherche de maitrise de Damphousse (2017), la dissection mécanique conçue comme démarche d’analyse technologique nous a permis de dégager trois manières dont les élèves procèdent pour réaliser la démarche et de recommander aux enseignants et aux enseignantes de favoriser l’enseignement de la dissection mécanique par systèmes ou en spirale (voir la partie 1 de l’article). La dissection mécanique vue comme une démarche d’observation a, quant à elle, éclairé le fait que les élèves emploient systématiquement le sens du toucher pour réaliser la tâche proposée, ce qui nous mène à recommander au personnel enseignant de permettre aux élèves de réaliser la dissection à partir d’objets réels. Des regards croisés – à l’aide de deux démarches – sur une même activité d’enseignement et d’apprentissage pourraient bien sûr être posés dans le contexte de réflexions didactiques. Autrement dit, nul besoin de réaliser une recherche pour examiner une même activité sous l’angle de deux démarches et pour en tirer des enseignements pertinents.

Par ailleurs – il s’agit de la deuxième conclusion –, envisager une démarche habituellement associée aux sciences sous l’angle de la technologie (ou vice-versa) permet d’enrichir la définition de cette démarche. La recherche que nous avons présentée dans cet article constitué de deux parties fait bien voir qu’une démarche d’observation technologique peut être réalisée en classe, en plus de montrer que l’observation en contexte technologique peut autant s’appuyer sur le toucher que sur la vue; à notre connaissance, cela n’a jamais été discuté dans les écrits scientifiques et professionnels. Il nous semble probable que les définitions d’autres démarches abordées dans le PFEQ puissent être enrichies de la même manière.

Enfin, comme troisième conclusion, nous pensons que le fait de décloisonner les démarches technologiques et scientifiques pour tenir compte de la possibilité qu’une démarche considérée comme propre à la science puisse être employée en technologie (ou vice-versa) peut mener à concevoir des activités pertinentes auxquelles nous n’aurions pas nécessairement réfléchi. À titre d’exemple, nous pouvons imaginer une activité dans laquelle les élèves sont invités à modéliser le fonctionnement d’un objet technologique avant d’en effectuer la dissection mécanique ou lorsque cette dissection n’est pas facile ou possible (p. ex. la dissection d’un cadenas à combinaison, qui est par définition difficile, en raison de la fonction du cadenas). Cette activité pourrait aussi constituer une belle occasion pour les élèves de se familiariser avec un logiciel de dessin technique.

En somme, les enseignants et les enseignantes gagnent à se familiariser avec les différentes démarches technoscientifiques, à en comprendre les subtilités et à explorer toutes les possibilités qu’elles offrent.

 

Références

Ahtee, M., Juuti, K., Lavonen, J. et al. (2011). Questions Asked by Primary Student Teachers about Observations of a Science Demonstration. European Journal of Teacher Education, 34(3), 347-361.

Damphousse, J. (2017). La dissection mécanique réalisée par des élèves du secondaire en sciences et technologie : Démarches employées et sens utilisés. (Maître ès arts). Université du Québec à Trois-Rivières, Trois-Rivières, Canada.

Doucet, P., Langelier, È. et Samson, G. (2007). Une démarche de conception en sept étapes 2e partie : la rétro-conception et la dissection mécanique. Spectre, décembre-janvier, 30-33.

Eberbach, C. et Crowley, K. (2009). From everyday to scientific observation: How children learn to observe the biologist’s world. Review of Educational Research, 79(1), 39-68.

Fourez, G. (1988). La construction des sciences: Paris : Éditions universitaires.

Fourez, G., Englebert-Lecompte, V. et Mathy, P. (1997). Nos savoirs sur nos savoirs : un lexique d’épistémologie pour l’enseignement: Bruxelles : De Boeck Université.

Haury, D.L. (2002). Fundamental skills in science: Observation. Columbus: ERIC Clearinghouse for Science Mathematics and Environmental Education.

Hodson, D. (1996). Rethinking the role and status of observation in science education. European Education, 28, 37-57.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). (2006). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, Programme de science et technologie, 1er cycle. Québec : gouvernement du Québec.

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). (2007a). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, Programme d’applications technologiques et scientifiques, 2e cycle. Québec : gouvernement du Québec

Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (MELS). (2007b). Programme de formation de l’école québécoise. Enseignement secondaire, Programme de science et technologie, 2e cycle. Québec : gouvernement du Québec

Oguz-Unver, A. et Yurumezoglu, K. (2009). A Teaching Strategy for Developing the Power of Observation in Science Education. Ondokuz Mayis University Journal Of Education, 28, 105-119.

Yurumezoglu, K. (2006). Changing Interpretations of the Scientific Observation: Observations without Seeing. Science and Utopia, 12(145), 44-47.