L’intégration des apprentissages dans le nouveau programme de sciences de la nature

Une occasion à saisir

Bruno Voisard, Enseignant, Cégep André-Laurendeau

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Au Québec, comme ailleurs dans le monde, l’enseignement des sciences met généralement l’accent sur la transmission d’un grand nombre de connaissances et d’algorithmes, au détriment d’habiletés de plus haut niveau (Parlons Sciences, 2019; Science & Policy Exchange, 2016). Par exemple, au collégial, les personnes diplômées du programme de sciences de la nature sont très habiles pour répondre à des questions fermées, mais peinent à mettre en application leurs connaissances en contexte (Belleau, 2017; ÉduConseil, 2014). Or, que ce soit pour poursuivre des études universitaires ou, en tant que citoyennes et citoyens, pour comprendre et se positionner sur des enjeux socioscientifiques, cette habileté à appliquer des algorithmes ne suffit pas : les étudiantes et étudiants doivent avoir vécu des activités d’apprentissage qui leur demandent de réaliser des tâches de plus en plus complexes et qui les amènent à intégrer graduellement leurs apprentissages.

Le nouveau programme de sciences de la nature, devenu officiel en décembre 2021, doit être offert par les collèges au plus tard à l’automne 2024. Puisque ceux-ci doivent maintenant implanter ce nouveau programme, le moment est propice pour les équipes enseignantes de sciences du collégial de repenser l’enseignement de ce qui est parfois appelé les habiletés relatives au processus scientifique. Cet article dresse d’abord un bref état des lieux de l’intégration des apprentissages en sciences et propose ensuite quelques pistes pour aider les étudiants et étudiantes à réaliser des apprentissages plus signifiants.

Le défi de l’intégration des apprentissages en sciences

Le Conseil supérieur de l’éducation définissait en 1991 (CSE, 1991) l’intégration des apprentissages comme étant un processus en trois étapes :

  1. La greffe d’un nouveau savoir à ses savoirs antérieurs
  2. La restructuration de ses savoirs
  3. L’application des savoirs acquis à des situations nouvelles et concrètes

En sciences, l’intégration des apprentissages fait aussi référence à des habiletés telles que la résolution de problèmes, l’interprétation de données, le design expérimental, la communication scientifique orale et écrite, le travail d’équipe et les habiletés méthodologiques (Coil et al., 2010). En effet, l’application de ses savoirs scientifiques à des situations concrètes nécessite aussi de faire appel à cet ensemble d’habiletés. Ces habiletés relatives au processus scientifique sont d’ailleurs couvertes par la compétence d’intégration du nouveau programme québécois de sciences de la nature (MEES, 2021, p. 42), associée à un cours de 45 h dans le cadre duquel un projet de fin d’études devra être réalisé.

L’ancien programme de sciences de la nature stipulait déjà, dès 1998, que « [t]ous reconnaissent d’emblée l’importance de l’intégration des apprentissages dans le programme et tous souhaitent que l’intégration des apprentissages et des attitudes soit visée de façon continue et explicite dans l’ensemble des cours du programme, et non exclusivement dans un cours placé à la fin du programme » (MELS, 2010, p. 8). Si cette volonté existe depuis près de 25 ans, d’où viennent alors les difficultés des personnes diplômées en sciences de la nature à démontrer l’intégration de leurs apprentissages? Elles viennent possiblement du fait que trop peu de temps est consacré dans les cours au développement des habiletés qui y sont nécessaires. L’importance accordée dans les cours à l’enseignement des contenus disciplinaires, par opposition à ces habiletés, pourrait contribuer à ce phénomène (Petersen et al., 2020). Or, pour que nos étudiantes et nos étudiants développent leurs habiletés en résolution de problèmes et mettent en œuvre une démarche scientifique, davantage d’importance doit y être accordée tout au long du programme.

Des pistes pour des apprentissages plus signifiants

Malheureusement, le programme de 2021 ne propose pas plus de pistes concrètes que celui de 1998 pour favoriser l’intégration des apprentissages et le développement des habiletés relatives au processus scientifique tout au long du cheminement collégial (Cormier et Voisard, 2022). Il revient donc aux collèges et aux équipes enseignantes de s’assurer que le programme implanté dans chaque collège atteint ces visées de l’éducation scientifique. Voici quelques pistes qui pourraient être explorées afin de nous rapprocher de cet objectif.

Travailler en approche-programme

Pour enseigner de façon progressive et cohérente tout au long du programme les habiletés de résolution de problèmes et les habiletés relatives au processus scientifique, tout en ayant le temps de traiter des contenus disciplinaires, il devient nécessaire de partager les responsabilités entre les disciplines et les cours du programme. Ce travail relativement complexe a été confié aux collèges par le comité qui a défini la structure du nouveau programme (Lavoie et al., 2019). En effet, dans une version antérieure du projet de programme, ces habiletés nous apparaissaient un peu mieux intégrées aux objectifs et standards définis par le ministère (MEES, 2018), mais cette approche a été rejetée dans la version finale du programme.

L’approche retenue présente certains risques : en reléguant ces habiletés aux buts généraux et à la compétence d’intégration, comme dans l’ancien programme, il devient facile de retomber dans les mêmes pièges que ceux des dernières décennies. La Commission d’évaluation de l’enseignement collégial, par exemple, a remarqué dans le passé des problèmes relatifs à l’intégration des buts généraux du programme et à l’intégration des apprentissages dans les programmes de sciences de la nature de beaucoup de collèges (CEEC, 2008). Espérons que l’impulsion amenée par l’implantation d’un nouveau programme encourage les équipes enseignantes à viser à ce que l’ensemble des cours du programme contribue au profil de sortie. Comme le rappelle le Conseil supérieur de l’éducation, « [l]a cohérence d’un programme tient au fait qu’il n’est pas une juxtaposition de cours et que toutes ses composantes sont alignées sur un profil de sortie » (CSE, 2018, p. 50).

Enseigner la résolution de problèmes

Lors des travaux préalables à l’écriture du nouveau programme de sciences de la nature, on tenait les propos suivants au sujet de la résolution de problèmes :

« Les concepts de problèmes et de résolution de problèmes sont difficiles à définir. Le niveau d’exigence à atteindre tout au long du programme et dans chacun des objectifs et standards est mal planifié. La résolution de problèmes est une compétence qu’il est laborieux de développer pour les étudiants, mais qui est essentielle en sciences. Pour les enseignants, l’évaluation de la résolution de problèmes est complexe et difficile et le temps associé à son enseignement et à son apprentissage est un facteur déterminant dans l’acquisition de cette compétence. » (MEES, 2017, p. 33)

Les notions de problème et de résolution de problèmes ne sont pas plus clairement définies dans le programme de 1998 que dans celui de 2021, et elles ne sont pas davantage prises en compte dans les compétences du nouveau programme. Les difficultés des personnes diplômées à résoudre de véritables problèmes ont été mises en évidence lors des consultations des universités (Belleau, 2017; ÉduConseil, 2014). Pour y remédier, la définition d’une progression des apprentissages en résolution de problèmes par les collèges, lors de l’implantation de leur programme de sciences, pourrait s’avérer une voie à explorer.

Selon une typologie proposée par Wood (2006), les problèmes peuvent être classés en fonction de trois variables :

  1. La solution recherchée : est-elle mentionnée explicitement, ou doit-elle être établie?
  2. Les données : sont-elles fournies dans le problème, ou sont-elles incomplètes?
  3. Les méthodes : suffit-il d’appliquer un algorithme connu pour arriver à la solution, ou cela ne suffit-il pas?

D’autres auteurs insistent également sur l’importance de la richesse du contexte : les étudiantes et étudiants qui sont capables de résoudre des problèmes de façon algorithmique ne comprennent souvent pas les concepts sur lesquels les problèmes sont basés (Cracolice et al., 2008; Gabel et al., 1984). Il n’est donc pas étonnant qu’ils soient souvent perplexes lorsque le contexte du problème devient plus authentique. La richesse du contexte pourrait donc être une quatrième variable qui permettrait de classifier les problèmes. Par exemple, demander le nombre d’atomes d’aluminium dans 0,50 g de papier d’aluminium est un problème au contexte relativement pauvre. Le contexte s'enrichit lorsqu’on demande de trouver le prix de chaque atome d’un rouleau de papier d’aluminium, en fournissant une balance et le rouleau de papier en question. De plus, en sciences expérimentales, le laboratoire, ou le terrain, des lieux souvent plus authentiques que la classe, peuvent contribuer à moduler les autres variables.

Mettre en place une progression des apprentissages en matière de résolution de problèmes pourrait comprendre l’enseignement de la démarche de résolution de problèmes d’une complexité grandissante, au fil des sessions, et ce, dans les cours de chacune des disciplines de la formation spécifique. Cela implique cependant une compréhension commune des objectifs à atteindre et des actions concertées de la part des équipes enseignantes.

Le rôle des laboratoires

Le rôle des laboratoires peut sembler aller de soi dans l’enseignement du processus scientifique. Toutefois, tous les laboratoires ne permettent pas aussi efficacement de développer les habiletés relatives au processus scientifique. On peut classer la nature des laboratoires selon les variables suivantes (Abrams et al., 2007) :

  1. L’objectif du laboratoire
  2. La procédure expérimentale
  3. La façon d’analyser les données

Chacune de ces variables peut être définie par les enseignantes et enseignants, ou par les étudiantes et étudiants. On qualifie de laboratoires par enquête guidée ceux où les étudiantes et étudiants choisissent la procédure expérimentale et la façon d’analyser les données. Dans les laboratoires par enquête ouverte, ils doivent définir chacun de ces trois aspects. À l’autre extrémité du spectre se retrouvent les laboratoires de vérification, où les étudiantes et étudiants doivent atteindre un objectif établi pour eux, selon une méthode établie pour eux.

On peut dresser un parallèle entre cette typologie et celle qui a été proposée par Wood (2006) pour classer les problèmes. En fait, on pourrait soutenir que le laboratoire est un contexte particulier pour camper un problème de nature scientifique. Il est donc naturel que l’on en vienne à une typologie similaire pour définir la nature des problèmes proposés en classe et celle des laboratoires éducatifs.

Les laboratoires par enquête guidée développent mieux les habiletés relatives au processus scientifique que les laboratoires de vérification (Jeffery et al., 2016; Gormally et al., 2009; Myers et Burgess, 2003). En fait, certaines recherches semblent même démontrer l’inefficacité des laboratoires de vérification pour favoriser la compréhension des concepts scientifiques, contrairement aux laboratoires par enquête guidée (Abraham, 2011; Blanchard et al., 2010; Holmes et al., 2017). Il serait donc pertinent de profiter de la révision du programme collégial de sciences de la nature pour porter un regard critique sur les laboratoires proposés à nos groupes. Fay et ses collaborateurs (2007) proposent d’ailleurs une grille d’analyse qui peut être utilisée à cette fin.

Conclusion

L’implantation du nouveau programme collégial québécois de sciences de la nature représente une occasion pour les collèges de porter davantage d’attention à l’enseignement des habiletés de résolution de problèmes et des habiletés relatives au processus scientifique. Pour développer ces habiletés, les étudiantes et étudiants doivent avoir des occasions de développer leur autonomie en étant confrontés à des problèmes graduellement plus ouverts, tant en classe qu’en laboratoire. C’est collectivement, en concentrant nos efforts sur des objectifs qui transcendent nos disciplines scientifiques, que nous y arriverons.

 

Références

Abraham, M. R. (2011). What can be learned from laboratory activities? Revisiting 32 years of research. Journal of Chemical Education, 88(8), 1020‑1025. https://doi.org/10.1021/ed100774d

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Belleau, J. (2017). Les acquis disciplinaires attendus des diplômés des programmes de sciences (p. 31). Gouvernement du Québec.
http://www.lareussite.info/wp-content/uploads/2017/01/2017-03_jbelleau_acquis-disciplinaires-attendus-diplomes-programmes-sciences.pdf

Blanchard, M. R., Southerland, S. A., Osborne, J. W., Sampson, V. D., Annetta, L. A. et Granger, E. M. (2010). Is inquiry possible in light of accountability?: A quantitative comparison of the relative effectiveness of guided inquiry and verification laboratory instruction: Guided inquiry and verification laboratory instruction. Science Education, 94(4), 577‑616. https://doi.org/10.1002/sce.20390

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Coil, D., Wenderoth, M. P., Cunningham, M. et Dirks, C. (2010). Teaching the process of science: Faculty perceptions and an effective methodology. CBE—Life Sciences Education, 9(4). 524‑535. https://doi.org/10.1187/cbe.10-01-0005

Cormier, C. et Voisard, B. (2022). Nouveau programme collégial québécois de Sciences de la nature : commentaire sur l’article de Désautels (2020) et pistes pour l’intervention. Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education, 22, 237-249. https://doi.org/10.1007/s42330-022-00192-8

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