Être queer et enseigner la biologie au collégial

Rencontre avec Dominique Dubuc, enseignante de biologie au Cégep de Sherbrooke

Propos recueillis par Guillaume Cyr, chargé de cours à l’UQAM

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En tant que queer, il n’est pas toujours facile de créer des liens intergénérationnels. Les espaces où rencontrer des gens de la communauté doivent être créés. C’est grâce à des évènements communautaires et militants que j’ai rencontré des personnes inspirantes, comme Dominique Dubuc (Dom, pronom elle ou ielle, accords féminins). Nous partageons non seulement une implication dans le milieu LGBTQIA+i, mais aussi le fait d’enseigner les sciences. J’ai donc sauté sur l’occasion de ce numéro thématique pour discuter avec Dom de son parcours et des enjeux de l’enseignement inclusif de la biologie au collégial.

Guillaume : Dans ton parcours d’étudiante en biologie, as-tu déjà senti que ce qu’on te présentait n’était pas cohérent avec ta propre expérience?

Dom : C’est sûr qu’on n’a jamais parlé de diversité sexuelle et de genre en classe de près ou de loin dans les années 80. Mais, ça ne m’a pas marquée parce que moi, quand j’ai fait mon parcours d’études, j’étais « théoriquement » hétéro. C’était un milieu homophobe et fermé. Une absence de tout ce qui n’était pas hétérosexuel et cisgenre. Il n’y avait pas de place pour faire mon propre coming out à moi-même, même si je sentais un inconfort. À l’université, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée consulter une personne-ressource aux services psychologiques aux étudiantes et étudiants. J’ai réussi de peine et de misère à nommer mon questionnement sur mon orientation sexuelle. La personne a éclaté de rire et a réduit mon « problème » à une question de technique sexuelle! Elle m’a claqué la porte du placard au visage et je m’y suis réfugiée à nouveau pour plusieurs années.

Guillaume : Peux-tu me parler du moment où tu as fait ton coming out?

Dom : J’ai eu le temps de me marier et d’avoir deux enfants magnifiques. J’avais presque 30 ans quand j’ai compris que je ne pouvais plus continuer à me nier. J’ai fini par rencontrer une femme, avec qui je me suis mariée plus tard et de qui je suis maintenant divorcée. Mon premier réflexe a été d’être dans le placard. Parce que c’est comme ça. Tu es lesbienne, tu es dans le placard. Je ne me posais pas de questions. Mais, habitant avec ma conjointe et mes deux jeunes enfants, je me suis rendu compte très rapidement que le placard n’était pas une option. Je ne pouvais pas demander à mes enfants de ne pas le dire à telle personne, ou telle autre. Je ne pouvais pas leur laisser entendre qu’il y avait peut-être quelque chose de honteux. Et ça a été mon réveil face aux doubles standards et aux injustices et je me suis plongée dans le militantisme.

Guillaume : Je trouve ça intéressant que le militantisme ait eu une importance dans ton parcours parce que ç’a été le cas pour moi aussi. Comment as-tu dépensé cette énergie, cette soif de justice à ce moment-là?

Dom : À l’origine, j’ai joint l’Association des mères lesbiennes qui est maintenant la Coalition des familles LGBT+. Après je me suis impliquée au niveau syndical dans le comité LGBT+ de la CSN et de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (CSN). C’est par le biais syndical que j’ai eu l’occasion de siéger à la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation et de siéger au comité exécutif de l’Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes (ILGA) qui a un statut consultatif au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), et qui fut une implication très enrichissante. Je suis toujours très impliquée à la CSN. La solidarité syndicale a permis de grandes avancées au Québec, et ailleurs dans le monde. Mais tout ce temps-là, mon implication LGBT+ ne teintait pas mon enseignement en général et de la biologie en particulier. C’est relativement récemment que ces deux sphères commencent à se rejoindre.

Guillaume : Tu avais déjà commencé à enseigner. À quel moment ces deux univers se sont rencontrés?

Dom : J’ai commencé à enseigner en 1992. Dès que j’ai commencé à militer, vers 1998, je me suis fait un devoir de faire un coming out à mes étudiantes et étudiants, de la même façon qu’une personne hétéro l’aurait fait, par exemple en mentionnant ma conjointe. Il m’est apparu très tôt que c’est une responsabilité de leur tendre cette perche-là pour les aider à progresser dans leur prise en compte de la diversité liée au corps sexué, au genre et à l’orientation sexuelle, mais aussi pour les jeunes directement concerné.es. Je pense que ça fait du bien de voir une personne bien ordinaire, dans une certaine position d’autorité qui se dévoile en toute simplicité.

Guillaume : À quel moment as-tu commencé à intégrer ces réflexions dans ta manière d’enseigner les contenus de biologie?

Dom : J’ai réalisé peu à peu que l’ouverture que je préconisais dans mon militantisme devait finir par percoler dans mon enseignement, au-delà d’un accueil soutenant et inclusif. Je ne pouvais pas juste embarquer dans le système reproducteur d’une façon classique, c’est-à-dire binaire et dichotomique. Mais comment faire? Le matériel que j’ai à ma disposition (notamment, les manuels) est binaire et dichotomique. Et à la fin, c’est mon travail d’expliquer, par exemple, le fonctionnement d’un ovaire et d’un testicule. Ma première stratégie a été d’insérer ce préambule :

La conception binaire des corps sexués et des genres ne rend pas compte de la réelle diversité humaine dans les dimensions du corps sexué, du genre et de l’orientation sexuelle. Ce chapitre est parfois simpliste pour fin de faciliter la compréhension des phénomènes liés à la reproduction.

Je spécifiais que j’allais prendre des raccourcis parfois, et que leur manuel était lui aussi plein de ces raccourcis. D’ailleurs, c’est un autre élément. On n’a aucun matériel existant pour donner un cours de biologie vraiment inclusif. Tout est à construire.

Par la suite, j’ai introduit une formation de deux ou trois heures dans le cours où j’aborde la terminologie adéquate, les effets de la stigmatisation, le cadre légal et des pistes d’actions concrètes pour leur futur rôle professionnel. À ce moment-là, je ne porte pas le chapeau de prof de biologie, mais ça donne parfois des occasions d’illustrer des concepts ou phénomènes biologiques. Par exemple, l’étymologie des préfixes « trans » et « cis » qui rejoint les acides gras, ou encore le stress minoritaire et les taux de cortisol élevés.

Enfin, c’est la refonte complète du chapitre sur la reproduction. C’est la prochaine étape. Ça fait plusieurs années que je n’enseigne pas le système reproducteur, donc je n’ai pas eu l’occasion d’approfondir cet aspect. Mais lorsque j’aurai à le faire, je m’inspirerai d’une formation que tu as donnée au congrès de l’AESTQ et dans laquelle tu mettais l’accent sur l’homologie des structures (celles qui ont la même origine dans le développement fœtal) et non leur complémentarité. C’est une piste très prometteuse!

Guillaume : À propos des choses qui restent à construire, comment peut-on sortir de la reproduction dans un cours de biologie, voire aborder l’orientation sexuelle?

Dom : On aborde souvent le système reproducteur sous le seul angle de la reproduction. Par exemple, l’un des moments où j’essaie de ne pas échapper la balle, c’est quand je parle de lubrification. Je trouve important de dire qu’un vagin qui se lubrifie n’est pas nécessairement un gage d’excitation sexuelle, et encore moins un signal objectif de consentement. Même chose pour l’érection des mamelons. Ce sont des choses importantes à dire aux jeunes. C’est une question de culture scientifique qui donne assise à une culture du consentement. Pour l’orientation sexuelle, on peut simplement modifier certains exemples. J’aime bien faire déduire le génotype d’un donneur de sperme dans un arbre généalogique avec un couple de femmes.

Guillaume : Le féminisme et les réflexions sur le consentement te sont-ils utiles pour rendre ton enseignement inclusif?

Dom : Le féminisme et les enjeux LGBTQIA+ sont indissociables à mon avis. Il faut déconstruire cette vision essentialiste et binaire de ce qu’est un homme et de ce qu’est une femme. Quand on enseigne en divisant les corps en deux catégories – homme et femme – selon les taux d’hormones ou autres paramètres, on cristallise ces catégories en donnant un vernis scientifique à cette vision essentialiste et réductrice. Bien sûr qu’on peut tirer des statistiques si on fait deux catégories fondées sur la présence d’une vulve ou d’un pénis. Mais ces statistiques ne permettent pas de déduire ensuite l’ensemble des caractéristiques d’un individu donné en fonction de ses organes génitaux. Ces catégories sont des outils pour illustrer la réalité, et comme toute modélisation, la réalité est toujours plus complexe et nuancée.

Guillaume : Quel conseil donnerais-tu à ces enseignantes et enseignants qui hésiteraient à embrasser un enseignement plus inclusif?

Dom : Il s’agit d’abord d’admettre qu’on ne sait pas tout. Donc, aborder ces questions avec humilité. En fait, la réponse est à deux niveaux. Le premier niveau est la mise en place dans notre classe d’un climat inclusif, soutenant et accueillant pour tous et chacune. Par exemple, développer des stratégies pour connaitre les bons prénoms et pronoms de mes étudiantes et étudiants et accueillir l’expertise des étudiantes et étudiants qui veulent bien partager cette expertise-là. Et le deuxième niveau concerne le contenu qu’on enseigne. En 2022, un enseignement aveugle à la diversité liée au corps sexué, au genre et à l’orientation sexuelle est un enseignement lacunaire et le programme qui n’en prescrit pas l’inclusion est lacunaire.

Guillaume : Est-ce qu’il y a des pièges qu’il faudrait éviter?

Dom : Celui d’entrer dans les « preuves » scientifiques de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Par exemple, la recherche (LeVay, 1991) qui avait prétendu qu’un noyau de l’hypothalamus était plus grand chez les hommes hétérosexuels que chez les hommes homosexuels et les femmes, ce qui correspondait au stéréotype des hommes homosexuels comme étant plus « féminins ».

Guillaume : Oh oui! Il y avait plein de failles dans cette recherche, comme le fait qu’on ne prenait pas en compte ni les hommes bisexuels ou pansexuels, ni l’orientation sexuelle des femmes. Et en plus, l’échantillon d’hommes homosexuels était des corps d’hommes atteints du VIH/SIDA (Benoit-Broweys et Vidal, 2001).

Dom : Il faut aussi éviter d’instrumentaliser les minorités. Par exemple, il est facile d’instrumentaliser les personnes intersexesii  quand on enseigne la biologie. On peut alors tomber dans le piège de faire un lien entre la diversité des corps sexués et la diversité des identités de genre, comme s’il y avait un lien de causalité entre les organes génitaux d’une personne et son identité de genre. Et surtout, il faut éviter la pathologisation et la gradation de validité de ce qui constitue en fait la diversité des corps sexués.

Guillaume : Et pour éviter ça, on peut avoir recours à des témoignages et indiquer quels sont les enjeux et revendications actuelles de ces différents groupes. Par exemple, les personnes intersexes militent pour l’arrêt des interventions médicales non consenties.

En guise de conclusion, aurais-tu des derniers conseils à donner aux enseignantes et enseignants de biologie qui souhaitent aborder ces questions en classe?

Dom : Faire preuve d’humilité, ce contenu n’est pas construit. Nous ferons des erreurs. Mais la plus grande erreur, c’est le statuquo. Et ce n’est pas sur nos seules épaules de profs que ces enjeux reposent. On peut aussi faire venir des personnes expertes dans nos classes pour aborder ce volet, par exemple la Coalition des familles LGBT+. Mais à la fin, ce sont des enjeux qui devraient être abordés en département, en comité de programme, en commission des études (ou pédagogiques). Il faut des réponses collectives, cohérentes et institutionnelles. La Fédération des cégeps offre de solides formations pour le personnel. Nous avons, au Cégep de Sherbrooke, un Comité institutionnel de la diversité sexuelle et de genre auquel siègent des représentantes et représentants du personnel enseignant, professionnel, de soutien, de l’association étudiante et de la direction. C’est un pas intéressant. Ultimement, la pierre angulaire, c’est la formation et la construction de matériel pédagogique inclusif. Et comme pour tout, ça prend des ressources pour y parvenir.

 

Références

Benoit-Broweys, D. et Vidal, C. (2001). Cerveau, sexe et pouvoir. Belin.

LeVay, S. (1991). A difference in hypothalamic structure between heterosexual and homosexual men. Science, 253(5023), 1034-1037.

 


i . Le sigle LGBTQIA+ regroupe les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles. Dans le texte, on parle aussi, de manière équivalente, de minorités sexuelles, de genre et de corps sexués ou nous utilisons parfois des sigles plus courts selon les groupes qui les utilisent, comme LGBT+.

ii . Les personnes intersexes sont des personnes dont le corps de naissance combine des caractéristiques sexuelles dérogeant aux normes médicales délimitant les « mâles » et les « femelles ».