Et si le laboratoire était la solution?

Améliorer la compréhension conceptuelle à l’aide du laboratoire par enquête guidée

Véronique Turcotte, enseignante en chimie, Cégep André-Laurendeau

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Amener nos étudiants et étudiantes à comprendre des notions conceptuelles représente souvent un défi. La planification de l’enseignement de concepts peut être difficile parce qu’il faut décider comment les enseigner pour qu’ils demeurent à la fois simples et justes (Herron & Eubanks, 1996). Et ça ne s’arrête pas là! En effet, s’assurer que les concepts enseignés ont été intégrés correctement est une autre paire de manches. Il nous est tous et toutes déjà arrivé d’être sous l’impression qu’une personne a bien compris un concept parce qu’elle était capable de répondre correctement à une question, mais une fois son raisonnement verbalisé, on se rend compte que ce n’est pas du tout le cas. Débute alors le véritable défi : corriger la conception alternative. C’est ce qu’on appelle le changement conceptuel (Bêty, 2004; Posner, Strike, Hewson et Gertzog, 1992; Potvin, 2013; Vosniadou, 2019). On retrouve dans les écrits de recherche plusieurs modèles pour provoquer ce changement. Pour y arriver, Potvin (2013) suggère de présenter d’abord la théorie scientifique pour la rendre accessible et par la suite faire prendre conscience des limites des mauvaises conceptions aux personnes qui en ont. Dans le cas de l’enseignement d’un concept scientifique, pourquoi ne pas utiliser le laboratoire pour donner la chance aux étudiants et étudiantes d’expérimenter et de constater les incohérences de leur conception, s’il y a lieu. C’est ce qui a été réalisé dans cette recherche. Le laboratoire, plus particulièrement le laboratoire par enquête guidée, a été employé dans le but de provoquer un changement conceptuel. Ces travaux ont été effectués dans le cadre d’une maitrise en innovation pédagogique qui portait sur les conceptions alternatives en chimie des solutions.

Dans ce texte, cette méthode pédagogique sera d’abord décrite. Par la suite, nous discuterons de son potentiel pour améliorer la compréhension conceptuelle des étudiants et étudiantes.

Le laboratoire par enquête guidée

Le laboratoire par enquête guidée, comme présenté dans le tableau 1, est un laboratoire dans lequel la question de recherche est imposée par l’enseignant ou l’enseignante alors que les moyens, ou la méthode, pour y répondre sont choisis par les étudiants et étudiantes. Il s’agit d’un laboratoire plus ouvert pour lequel les personnes étudiantes ont davantage de liberté et sont amenées à faire des choix (Blanchard et
al., 2010; Cheung, 2011). Il fait contraste avec le laboratoire plus traditionnel, appelé laboratoire de vérification, qui s’apparente davantage à une recette. Les différents types de laboratoires mènent à des apprentissages différents. Le laboratoire de vérification est très utile pour l’apprentissage de techniques par exemple, alors que le laboratoire par enquête guidée est particulièrement approprié pour l’apprentissage de concepts (Abraham, 2011). Le laboratoire par enquête semble donc être un choix cohérent avec l’objectif de ce projet, c’est-à-dire provoquer un changement conceptuel.

Il peut être relativement simple de convertir un laboratoire de vérification en laboratoire par enquête guidée. Farley et ses collaborateurs (2021) proposent d’ailleurs une méthode facile en quatre étapes pour le faire. Cet article est certainement un bon point de départ pour quiconque souhaite implanter cette méthode pédagogique.

Le laboratoire pour mieux comprendre le concept de saturation

Dans cette recherche, le laboratoire portait sur une notion conceptuellement difficile : la saturation des solutions. La séquence d’enseignement, telle que présentée dans la figure 1, se déroule comme suit : le concept est d’abord présenté à l’aide d’une vidéo explicative à regarder à la maison, ensuite des exercices sur le sujet sont réalisés en classe, en équipe. Finalement, le laboratoire par enquête est présenté aux équipes. Du temps est alloué en classe pour concevoir le protocole, puis les manipulations sont réalisées en laboratoire. Cette séquence respecte la suggestion de Potvin (2013) concernant le changement conceptuel.

La tâche demandée lors du laboratoire par enquête est de distinguer expérimentalement trois solutions d’acétate de sodium : une saturée, une insaturée et une sursaturée. Les équipes doivent alors élaborer une méthode qui permet d’atteindre ce but tout en respectant certaines contraintes. La première doit prévoir deux stratégies expérimentales différentes qui prouvent l’identité des trois solutions. En obligeant les étudiants et étudiantes à avoir plusieurs stratégies expérimentales différentes, on augmente les chances qu’ils soient témoins de phénomènes expérimentaux qui peuvent leur faire prendre conscience des limites de leur conception.

La deuxième contrainte est l’imposition d’une liste de matériel. Bien évidemment, cette liste limite les stratégies expérimentales qui peuvent être employées pendant le laboratoire. Néanmoins, le matériel fourni permet une grande variété de stratégies expérimentales, notamment le titrage acidobasique, la mesure de l’indice de réfraction, l’ajout de soluté et le refroidissement des solutions. La liste de matériel permet aussi de guider les équipes dans la préparation de l’expérience. En effet, plusieurs l’utilisent comme point de départ pour l’élaboration de leur méthode. Certaines personnes vont repérer un article dans la liste et se questionner sur la méthode qui utiliserait ce matériel pour atteindre le but. Voici un exemple de raisonnement :
« J’ai accès à de la glace, je sais que la glace permet de refroidir la solution, comment le refroidissement des solutions pourrait me permettre d’identifier les solutions saturée, insaturée et sursaturée? »

Les retombées du laboratoire par enquête guidée

Ce dispositif didactique a été testé auprès de 107 étudiants et étudiantes du cours de Chimie des solutions (202-NYB-05) au Cégep André-Laurendeau à la session d’hiver 2020. Leur compréhension conceptuelle a été évaluée à l’aide de deux questionnaires. Un premier a été distribué après l’enseignement formel du concept de saturation, mais avant le laboratoire par enquête guidée. Le deuxième a été soumis à la suite du laboratoire par enquête guidée.

Après la portion théorique, seulement 39 % des étudiants et étudiantes avaient bien compris le concept de solution saturée, insaturée et sursaturée selon leur performance au questionnaire. Ce résultat semble confirmer qu’il s’agit d’une notion conceptuellement difficile. Pourquoi donc n’ont-ils pas bien compris le concept après la séquence théorique? Une piste d’explication pour ce résultat faible réside dans le fait que les difficultés des étudiants et étudiantes ne sont pas nécessairement manifestes pour l’enseignant ou l’enseignante. Une rétroaction appropriée ne peut alors être fournie. Ce constat rappelle l’importance de faire verbaliser le raisonnement des étudiants et étudiantes le plus souvent possible pour tenter de valider leur compréhension, mais aussi, qu’il est pertinent de concevoir des activités d’apprentissage susceptibles de provoquer un changement conceptuel même lorsqu’un concept vient de faire l’objet d’un enseignement formel.

Après avoir complété le laboratoire par enquête guidée, la proportion des étudiants et étudiantes ayant compris le concept grimpe à 50 %. Ce gain de plus de 10 % indique que le laboratoire par enquête pourrait être utilisé pour améliorer la compréhension du concept de solution saturée, insaturée et sursaturée. Il semblerait donc que les observations expérimentales ont eu un effet correctif chez la population étudiante. Par exemple, certains ou certaines ont pu voir comment les solutions saturée, insaturée et sursaturée réagissent lorsqu’on leur ajoute du soluté et constater qu’il y a un décalage entre les observations expérimentales et leur conception. Les conceptions alternatives sont tenaces, et il est difficile de provoquer un changement conceptuel avec des méthodes d’enseignement traditionnelles (Wandersee et al., 1994). L’utilisation du laboratoire par enquête guidée semble prometteuse, mais ne suffit pas à elle seule à faire saisir le concept à l’ensemble des étudiantes et étudiants. En effet, il reste toujours une bonne proportion de personnes qui ne saisissent toujours pas le concept après la séquence pédagogique. Toutefois, en incluant le laboratoire par enquête guidée aux différentes situations d’apprentissage proposées, on ajoute un contexte différent dans lequel ils ont la chance de constater les limites de leur conception.

Quelques conseils pratiques pour encadrer la réalisation d’un laboratoire par enquête guidée

L’encadrement fourni par l’enseignant ou l’enseignante est particulièrement important pour le succès de l’apprentissage avec ce type de laboratoire (Lazonder et Harmsen, 2016). Il est important de s’adapter au niveau de compréhension des étudiants et étudiantes. Une guidance trop directe limite l’apprentissage par erreur alors qu’une guidance trop ouverte pourrait nuire aux plus faibles et moins autonomes (Potvin et al., 2017).

Le guidage, aussi appelé l’étayage, peut prendre différentes formes. Il se retrouve dans les textes de laboratoire, les devoirs, les discussions en classe, les présentations magistrales et dans les interventions individuelles réalisées par les équipes enseignantes en classe. Afin de soutenir l’apprentissage dans ce type de laboratoire, le guidage peut viser différents aspects comme la motivation, la cognition, le comportement et la métacognition (Hadwin et al., 2005). L’enseignant ou l’enseignante doit susciter l’intérêt envers la tâche, simplifier la tâche complexe en donnant des contraintes, remettre sur la bonne voie sans donner la bonne réponse, modeler le raisonnement et contrôler les frustrations lorsque ça ne fonctionne pas.

Pour permettre cet accompagnement, il est donc préférable de consacrer du temps de classe à l’élaboration du protocole et non uniquement à l’exécution des manipulations. Il sera alors possible de faciliter la progression des étudiants et étudiantes qui des difficultés en effectuant des interventions personnalisées. Puisque les étudiants et les étudiantes rencontreront un éventail de difficultés différentes, le guidage devra s’adapter à chaque situation. Les interventions devront donc obligatoirement être adaptées à chaque personne pour atteindre le plein potentiel de cet outil didactique (Lajoie, 2005).

Conclusion

L’enseignement formel ne suffit pas toujours pour faire apprendre des concepts scientifiques à nos étudiants et étudiantes. Il est primordial de leur fournir des occasions diverses pour qu’ils obtiennent la rétroaction nécessaire à leur apprentissage, comme le laboratoire par enquête guidée. Les résultats obtenus lors de cette étude tendent à démontrer que ce type de laboratoire peut contribuer à améliorer la compréhension. Il est à noter qu’une attention particulière doit être portée à la guidance de la part de l’enseignant ou de l’enseignante pour maximiser les effets positifs du laboratoire par enquête guidée.

 

Références

Abraham, M. R. (2011). What can be learned from laboratory activities? Revisiting 32 years of research. Journal of Chemical Education, 88(8), 1020‑1025. https://doi.org/10.1021/ed100774d

Bêty, M.-N. (2004). Les principaux modèles de changement conceptuel et l’enseignement des sciences au primaire : état de la question. Université de Montréal.

Blanchard, M. R., Southerland, S. A., Osborne, J. W., Sampson, V. D., Annetta, L. A. et Granger, E. M. (2010). Is inquiry possible in light of accountability: A quantitative comparison of the relative effectiveness of guided inquiry and verification laboratory instruction. Science Education, 94(4), 577‑616. https://doi.org/10.1002/sce.20390

Cheung, D. (2011). Teacher beliefs about implementing guided-inquiry laboratory experiments for secondary school chemistry. Journal of Chemical Education, 88(11), 1462‑1468. https://doi.org/10.1021/ed1008409

Corriveau, G. et Langlois, S. (2011). Pour un meilleur engagement des garçons et des filles au laboratoire de physique. Pédagogie collégiale, 24(3), 37‑44.

Farley, E. R., Fringer, V. et Wainman, J. W. (2021). Simple approach to incorporating experimental design into a general chemistry lab. J. Chem. Educ., 98(2), 350 356. https://doi.org/10.1021/acs.jchemed.0c00921

Hadwin, A. F., Wozney, L. et Pontin, O. (2005). Scaffolding the appropriation of self-regulatory activity: A socio-cultural analysis of changes in teacher-student discourse about a graduate research portfolio. Instructional Science, 33(5‑6), 413‑450. https://doi.org/10.1007/s11251-005-1274-7

Herron, J. D. et Eubanks, I. D. (1996). The chemistry classroom: Formulas for successful teaching. American Chemical Society.

Lajoie, S. P. (2005). Extending the scaffolding metaphor. Instructional Science, 33(5‑6), 541‑557. https://doi.org/10.1007/s11251-005-1279-2

Lazonder, A. W. et Harmsen, R. (2016). Meta-analysis of inquiry-based learning: Effects of guidance. Review of Educational Research, 86(3), 681‑718. https://doi.org/10.3102/0034654315627366

Posner, G. J. et Strike, K. A. (1992). A revisionist theory of conceptual change. Dans R. A. Duschl et R. J. Hamilton, Philosophy of science, cognitive psychology, and educational theory and practice (p. 147‑176). State University of New York Press.

Potvin, P. (2013). Proposition for improving the classical models of conceptual change based on neuroeducational evidence: Conceptual prevalence. Neuroeducation, 2(1), 16‑43. https://doi.org/10.24046/neuroed.20130201.16

Potvin, P., Hasni, A. et Sy, O. (2017). Using inquiry-based interventions to improve secondary students’ interest in science and technology. European Journal of Science and Mathematics Education, 5(3), 262‑270.

Vosniadou, S. (2019). The development of students’ understanding of science. Frontiers in Education, 4. https://doi.org/10.3389/feduc.2019.00032

Wandersee, J. H., Mintzes, J. J. et Novak, J. D. (1994). Research on alternative conceptions in science. Dans D. Gabel (dir.), Handbook of Research on Science Teaching and Learning (p. 177-210). Simon & Schuster Macmillan.

Suggestions de lecture

Farley, E. R., Fringer, V. et Wainman, J. W. (2021). Simple approach to incorporating experimental design into a general chemistry lab. J. Chem. Educ., 98(2), 350 356. https://doi.org/10.1021/acs.jchemed.0c00921