Des abeilles, une communauté étudiante, un cégep

Des essaims de projets pédagogiques, entrepreunariaux et communautaires

Yvan L'Homme, Simone Têtu, Maxime Van de Putte, Judith Bouchard et Marie-Hélène Pitre, Cégep Garneau

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Introduction 

La crise environnementale à laquelle l’humanité fait face à l’heure actuelle est sans précédent. Nul besoin ici de décrire tous les indicateurs appuyant cette réalité, mais citons tout de même la diminution importante de la biodiversité dans la majorité des écosystèmes. Transmettre une vision optimiste sur l’avenir de la planète et le maintien de sa biodiversité demeure donc un défi de taille en enseignement. En outre, depuis l’avènement de l’agriculture intensive et de ses monocultures, de l’étalement urbain et de la destruction des habitats naturels, plusieurs familles d’insectes ont vu une baisse phénoménale de leurs populations et de leur diversité au cours des dernières décennies (Hallmann, 2017; Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019). 
Notons au passage les pollinisateurs sauvages qui se font de plus en plus rares, de sorte que la pollinisation des cultures maraichères dépend en grande partie de l’abeille domestique (Apis melifera). Non seulement les abeilles domestiques sont-elles devenues un maillon important de la productivité agricole et du maintien de la biodiversité dans plusieurs milieux, mais elles sont aussi l’objet d’une fascination inépuisable et de formidables sentinelles écologiques sensibles aux multiples agressions environnementales. Par conséquent, ces insectes représentent un sujet pédagogique exceptionnel qui peut être employé dans les domaines de la biologie, de la chimie, des sciences de l’environnement, de l’économie et du markéting. 
C’est dans ce contexte qu’un groupe d’enseignants et d’enseignantes de biologie au Cégep Garneau a commencé à réfléchir en 2014 à un projet d’apiculture urbaine. L’idée initiale était de sensibiliser les étudiants et étudiantes au déclin des pollinisateurs sauvages en particulier et de la biodiversité en général, en prenant appui sur le projet d’apiculture pour développer de nouvelles possibilités pédagogiques et entrepreneuriales au cégep. 

Conception d’un projet fédérateur 

En initiant la communauté étudiante à la biologie des abeilles, aux sciences apicoles et en faisant découvrir à ses membres tous les produits dérivés, le personnel enseignant était convaincu d’atteindre les multiples objectifs du projet : stimuler leur conscience environnementale, les faire réfléchir aux causes et aux impacts du déclin de la biodiversité, les reconnecter sur l’origine des aliments qu’ils consomment et, finalement, leur transmettre des connaissances en apiculture, en agriculture, en biologie et en environnement. 
Par ailleurs, depuis quelques années, l’intégration des valeurs et des compétences entrepreneuriales et l’apprentissage expérientiel prennent de plus en plus de place dans l’espace pédagogique de nos écoles, cégeps et universités (Philippe, 2019). De ces concepts est née l’éducation entrepreneuriale qui vise le développement de l’esprit d’entreprise et de l’esprit d’entreprendre chez les jeunes adultes en formation. Plus précisément, l’esprit d’entreprise vise le développement de la capacité à créer et à gérer une entreprise lucrative ou d’économie sociale en réponse aux besoins d’un public cible, tandis que l’esprit d’entreprendre appelle l’individu à repérer et à saisir des opportunités, à réunir les moyens nécessaires pour amorcer et mener à terme un projet, peu importe sa nature (ibid., 2019). Cette approche aura donc été à la base de la collaboration entre le Département de biologie et le secteur entrepreneurial de la direction des affaires étudiantes et communautaires de notre cégep, collaboration qui aura donné naissance à l’entreprise-école Miel Garneau.  
Ainsi, il a été décidé qu’il serait pertinent de créer une équipe de travail mettant en collaboration les enseignants et enseignantes du Département de biologie, ainsi que les personnes professionnelles du secteur de l’entrepreneuriat de la direction des affaires étudiantes et communautaires (secteur du cégep possédant une expertise dans le démarrage d’entreprises-écoles). 
Deux années ont été nécessaires pour développer le projet. Les principaux défis pendant cette période ont été nombreux : convaincre la direction du cégep; trouver un emplacement adéquat et sécuritaire pour l’aménagement du rucher; mettre en place des protocoles de sécurité pour la visite et l’entretien des ruches; trouver des partenaires financiers. Enfin, l’entreprise-école Miel Garneau a vu le jour au printemps 2016. Cette collaboration entre le Département de biologie et l’entreprise Miel Garneau a permis de rassembler différents acteurs (le personnel enseignant, les étudiants et étudiantes, les membres de la direction et la communauté locale) autour d’une mission commune : créer un rucher urbain et éducatif. 
Au cours des dernières années, certaines préoccupations ont été soulevées en regard du nombre de ruches d’abeilles domestiques dans les milieux urbains, particulièrement dans la ville de Montréal (Corriveau, 2019). L’équipe de Miel Garneau a toujours eu le souci de ne pas surcharger l’environnement avec des abeilles domestiques. Afin d’y arriver, le nombre de ruches sur le campus a été limité à deux, et des discussions avec des institutions voisines ont été entreprises afin de limiter le nombre de ruches dans l’arrondissement. Un suivi de la production de miel est également effectué chaque année afin d’estimer l’évolution de la disponibilité des ressources. 

L’essaimage du projet de départ 

D’un point de vue pédagogique et selon l’objectif global du projet apicole, un laboratoire intégrant des concepts d’écologie, de génétique et de biotechnologies a été mis sur pied au Département de biologie. En effet, un laboratoire utilisant l’ADN comme code à barres des espèces vivantes a été mis sur pied dans le cadre du premier cours de biologie en sciences de la nature. L’idée est maintenant de bonifier ce laboratoire en y donnant une perspective d’évaluation de la diversité des pollinisateurs sauvages dans l’environnement immédiat du campus. L’objectif serait donc d’évaluer et de suivre les populations de pollinisateurs sauvages avec les étudiants et étudiantes et de comparer ces populations d’année en année. Nous croyons fermement que ce genre d’initiative peut constituer le point de départ d’une réflexion plus large sur la biodiversité qui nous entoure et sur l’importance de la préserver pour les générations futures. 
D’un point de vue communautaire, après quelques années de fonctionnement, le projet d’apiculture inspire de nouvelles initiatives écoresponsables sur le campus. À titre d’exemple, mentionnons l’inauguration d’un jardin communautaire à l’été 2020, qui a remplacé une parcelle de pelouse sur les terrains du cégep. Le projet de jardin et celui d’apiculture se bonifient mutuellement : le jardin fournit une diversité de pollen et de nectars aux abeilles qui, en retour, pollinisent les fleurs, ce qui bonifie la productivité et la rentabilité des jardins.  

La naissance d’une entreprise-école : Miel Garneau 

L’entreprise-école est, depuis sa création, composée uniquement d’étudiants et d’étudiantes impliqués qui ont pour mandat de voir à sa gestion et à son développement. Chacun d’eux tient un rôle bien précis au sein de l’organisation, ce qui lui confère un pouvoir décisionnel sur un champ d’opération. Pour ce faire, il doit donc collaborer et entretenir des échanges constructifs qui mènent à un consensus des participants et participantes impliqués. La structure organisationnelle de Miel Garneau se compose de cinq départements : ressources humaines, finances, opérations, relations publiques, ainsi que recherche et développement. L’équipe d’étudiants et d’étudiantes qui compose l’organigramme de l’entreprise-école est quant à elle sous la responsabilité d’une présidence, aussi exclusivement issue de la communauté étudiante. Dans le but de soutenir les personnes participantes dans leurs apprentissages, l’équipe de Miel Garneau est épaulée par un groupe de pédagogues qui supervisent les aspects scientifiques liés aux abeilles et à l’apiculture, ainsi que par un conseiller à la vie étudiante spécialisé en entrepreneuriat qui, lui, appuie les étudiants et étudiantes sur les plans organisationnel, opérationnel et commercial.  
Miel Garneau se distingue par l’intégration du modèle de développement de produit par l’intermédiaire de son Département de recherche et développement. L’investissement de ressources dans ce secteur représente souvent un aspect négligé dans le domaine de l’entrepreneuriat. Cela fait pourtant partie intégrante de la création et du développement d’une entreprise. L’initiation à l’approche préconisée en recherche et développement dans le cadre du développement de produit conduit à une nouvelle dimension dans le fonctionnement de l’entreprise-école et bonifie l’expérience des étudiants et étudiantes impliqués en ce qui concerne les connaissances et les compétences acquises pendant leur passage dans l’organisation. 

L’expérience pédagogique « Miel Garneau » aujourd’hui 

Les gestionnaires du Département de recherche et développement de Miel Garneau ont comme principaux mandats le développement de nouveaux produits alimentant les activités commerciales de l’entreprise, ainsi que la recherche permettant de soutenir sa mission de sensibilisation. Leurs décisions sont guidées par les valeurs de développement durable. 
À ses débuts, le seul produit mis en vente par Miel Garneau était le miel urbain issu de ses ruches. Toutefois, progressivement, l’entreprise a diversifié son offre de façon à faire connaitre la polyvalence du miel et de la cire d’abeille aux membres de sa communauté. En effet, des produits alimentaires, cosmétiques et domestiques ont été développés à ce jour. Ces produits incluent, par exemple, des savons au miel et des pellicules alimentaires réutilisables à base de cire d’abeille. Afin de réduire l’empreinte écologique du projet, l’emballage et l’étiquetage des produits ont été réfléchis : une gravure du couvercle des pots de miel remplace maintenant l’étiquette initiale, et le miel peut même être acheté en vrac localement au cégep. De plus, les contenants utilisés sont toujours recyclables. 
Lors de leur engagement dans l’entreprise, les nouveaux gestionnaires n’ont pas besoin de maitriser les notions propres à l’apiculture et aux produits de la ruche. Ainsi, au début du processus de développement de nouveaux produits, les gestionnaires font un travail de recherche afin de se familiariser avec les ingrédients mis à leur disposition, ainsi qu’avec les méthodes de production existantes. Ensuite, ils travaillent à peaufiner un procédé aboutissant à un produit de qualité. Cette démarche implique parfois la conception de nombreux prototypes avant que l’un d’eux soit satisfaisant et constitue donc un apprentissage de plus pour les gestionnaires. En effet, elle les conduit à acquérir la rigueur et la créativité nécessaires à tout projet de nature scientifique ou entrepreneuriale. 
Une autre activité majeure de Miel Garneau est la préparation de conférences de sensibilisation dans des écoles primaires de la région. Au-delà de ses activités de vente, Miel Garneau se consacre ainsi à la diffusion de connaissances au sujet des abeilles, de leur apport crucial à la biodiversité et des dangers que pose leur déclin. Plusieurs conférences d’une heure ont donc été données à des classes de niveau primaire. Elles s’accompagnent d’activités ludiques qui rendent leur contenu accessible à ce jeune public. Une partie des activités du Département de recherche et développement se centre alors sur la préparation du contenu informatif des présentations, ainsi que sur la conception d’ateliers proposés au personnel enseignant afin de poursuivre la sensibilisation après la conférence. 
Finalement, Miel Garneau veut également constituer une ressource pour la population étudiante de niveau collégial qui souhaite approfondir ses connaissances sur les abeilles. Par exemple, l’entreprise collabore régulièrement avec des étudiants et étudiantes dans le cadre de projets de recherche de fin d’études dans des domaines incluant notamment la biologie, la chimie et les mathématiques. La présence d’une initiative apicole au cégep leur inspire des sujets de recherche et leur donne accès à des ressources matérielles comme les produits primaires de la ruche, créant ainsi de nouvelles possibilités d’initiation à la méthode scientifique. De tels projets contribuent à l’éveil de la communauté étudiante au rôle crucial des pollinisateurs et à l’importance de leur protection en permettant aux étudiants et étudiantes de s’engager directement par rapport à cet enjeu dans le cadre de leurs études.  

Conclusion : une réussite communautaire 

Issu d’une idée qui pouvait sembler utopique au départ, le projet Miel Garneau aura su convaincre les plus sceptiques. Résultat d’une étroite collaboration entre les différentes parties prenantes, le projet est maintenant bien en selle et implique chaque année une vingtaine d’étudiants et d’étudiantes en plus des enseignants et enseignantes, ainsi que d’autres personnes intervenantes du collège. Par la multitude de projets développés depuis sa création, Miel Garneau prend racine et mobilise sa communauté, et ce n’est qu’un début. 

Références 

Corriveau, J. (2019). « Y a-t-il trop d’abeilles à Montréal? » Le Devoir, 27 août. Repéré à https://www.ledevoir.com/politique/montreal/561418/trop-d-abeilles-a-montre 

Hallmann, C.A., Sorg, M., Jongejeans, E. et al. (2017). More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLOS One, Octobre, 1-21. 

Philippe, M. (2019). Pédagogie entrepreneuriale :s’entendre le plus tôt possible! Colloque de la fédération des cégeps. Repéré à https://www.profweb.ca/publications/dossiers/la-pedagogie-entrepreneuriale-une-approche-pour-le-developpement-de-competences-transversales

Sánchez-Bayo, F. et Wyckhuys, K.A.G. (2019). Worldwide decline of the entomofauna: A review of its drivers. Biological Conservation, 232, 8-27. 

 

     

     


Spectre | Volume 50, numéro 2 | Février 2021


 

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